LE PET APOCALYPTIQUE

Carsten Svennson est un personnage aussi composite que les mutants, les avortons, les anges, les madonnes, les matadors de la bourse, les epeires, les politiciens et autres cochons, les généraux, les clercs, les squelettes apocalyptiques et le reste de la vermine qui peuplent son univers à la fois fantasmagorique et crûment réaliste. Un monde qu´il tourne dans son imagination fertile, dissèque avec une précision clinique pour ensuite se soulager par toutes les ouvertures du corps en poussant un grondement gargantuesque. Il est entré depuis longtemps dans le cloître de Rabelais, où on a le droit de faire ce qu´on veut, comme par exemple chier sur tous ceux qui ont le pouvoir, qu´ils portent des hauts de forme ou des mitres ou qu´ils soient assis sur des nuages, mais il craint un peu la réaction des Français et ne sait s´ils seront capables de goûter sa forme spéciale d´historicisme non fardé ou si les Gaulois se souviennent encore de leur célèbre compatriote. Des culs et des clés, des culs avec des oreilles-mais tant pis- ou comme traduit dans le danois des baraques de chantiers -Tante Pisse- rien n´arrête Svennson et il brandit le fouet au dessus des bétîses de l´humanité tout en reprochant, gentiment mais fermement, à Notre Seigneur de nous avoir chassés du Paradis sans que ça aide à casser la courbe du chômage. Surréaliste ? Peut-être ! C´est en tout cas la dénomination qu´on lui donne pour faciliter les choses, mais il s´agit alors d´un surréalisme qu´on retrouve à travers les siècles. Pas l´intellectualisme poli de Breton, Dali ou Magritte, mais la forme d´hyperréalisme chère à Archcimbaldo, Brueghel ou Hieronimus Bosch. Carsten Svennson ne cisèle pas un monde de rêves sophistiqué, il dessine et peint le cauchemar insupportablement proche de ce monde. Si son langage artistique diffère totalement de la force germanique sauvage et furieuse trouvée dans les oeuvres de Georg Grosz et Otto Dix et renferme un humour plus fin, les trois artistes ont pourtant le même moteur: l´agitprop pur et indigné. Svennson est rude et direct et nous donne ses messages avec une clarté et une conséquence brutes, même si au quotidien on ne voit guère "La naissance de la méchanceté" allégorisée par une femme aux seins tombants et casquée, rejetant une armée de démons casqués eux aussi hors d´un uf cassé dans le cul, tandis qu´un oiseau bigarré à la tête d´âne n´a pas encore fait éclore les siens. Svennson a aussi recours aux mots écrits dans ses tableaux pour commenter de façon mordante les bassesses sans cesse renouvellées de l´humanité, comme dans "Vælgerne"

(les électeurs), où un homme en bleu de travail porte une pancarte avec "Levebrødpolitikere" (politiciens gagne-pain), avant que ces mêmes politiciens ne le jettent, avec les autres électeurs, dans le moulin qui nous transforme tous en crânes d´ oeufs au sourire débile. On peut voir "Ordets klippegrund" (le sol pierreux de la parole) sur un motif représentant les personnages principaux du christianisme et une colonne avec les mots "militær" (militaire), "penge" (argent), "tro" (foi) et "magt" (pouvoir). Sur une autre colonne, on lit seulement les mots "finans" (finance) et "begær" (cupidité)", parce qu´un pape, un général gras, un commandant nazi et deux princes de la finance coiffés de hauts de forme représentent le reste. On pourrait objecter que, juste avant l´entrée dans le 21 ème siècle, les capitalistes portent le chapeau moins haut ou en tout cas utilisent des couvres-chefs moins voyants, mais Svennson reste fidèle à son vieux monde de symboles. Ses peintures regorgent de hauts de forme et les cavaliers de l´Apocalypse et le squelette unijambiste qui symbolisent la mort et la guerre portent harnois et casques. L´art de Svennson est au sens propre du terme sans temps. "Eh bien Hieronymus, Svennson t´a vraiment appris beaucoup de choses", ai-je récemment pensé lors une visite au musée El Prado de Madrid qui renferme presque toute les oeuvres fantastiques de Bosch. Mais j´ai dû évidemment me souvenir qu´ici en tout cas la poule se trouvait là avant-bien avant que Svennson ne commence à pondre ses oeufs burlesques et bigarrés. Svennson possède un formidable talent naturel de dessinateur et utilise la couleur non dans un but purement esthétique mais pour mettre le cochon en relief. Certaines images pourront toucher les estomacs sensibles (la description faite par Rabelais de la naissance de Garguantua le fait aussi), par exemple lorsque Svennson dote une femme d´un museau de porc ou, dans une autre version de "La naissance de la méchanceté",

lorsqu´il laisse une truie à la forte poitrine apporter une pomme à une nonne dilatée en train d´accoucher d´épeires. Svennson est un homme franc, qui lutte du côté des faibles avec grandeur artisanale, et si quelqu´un essayait de le persuader que la lutte des classes est terminée, il repondrait certainement qu´il lui reste encore un ticket pour être en première division.

Preben Hygum. Ecrivain, critique d´art, sculpteur, artiste peintre. Le quotidien "Information" Copenhague. Le 2 janvier 1994.

PREBEN HYGUM IN MEMORIAM

Traduit par Christiane Steenstrup

 

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  3. Carsten Svennson par Preben Hygum, artiste, écrivain, critique d´art, le quotidien Information.
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  5. La technique derrière les peintures
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